Structuration de l’écosystème tiers-lieux : le rôle essentiel de l’association France Tiers-Lieux

Le 1 décembre 2021

Depuis sa création en 2019, France Tiers-Lieux accompagne le développement et l'émergence des tiers-lieux. Quel est le rôle de l'association ? Pourquoi un tel engouement autour des tiers-lieux en France ? Quel type de soutien France Tiers-Lieux propose-t-il aux porteurs de projets ?

Rémy Seillier, responsable du développement de l'association a répondu à nos questions.


ex tiers-lieu


France Tiers-Lieux se présente comme "l'association nationale des tiers-lieux". Pouvez-vous définir ce qu'est, selon vous, un tiers-lieu ?

Vaste question. J'aime bien la définition donnée par la coopérative des tiers-lieux qui dit : "Les tiers-lieux sont des espaces où le travail se mélange à d'autres aspects de la vie en collectif."

Si nous aimons dire qu'il existe "autant de définitions que de tiers-lieux", nous avons choisi chez France Tiers-Lieux de retenir 5 critères phares :

  • Un espace ancré dans son territoire, où l'on entreprend localement...
  • ... Avec des méthodes basées sur l'entraide, la mutualisation et la coopération entre paires
  • Un espace d'expérimentations, qui laisse libre court aux projets hors cadre
  • Un lieu d'hybridation d'activités : entre activités économiques et d'utilité sociale
  • Un lieu ouvert et convivial, avec des formes d'accueil inconditionnel

Si je ne devais retenir qu'un critère caractéristique, je dirais qu'il s'agit d'un espace de libre contribution : lorsqu'on entre dans le tiers-lieu, on sort d'une posture de simple bénéficiaire ou de consommateur pour prendre part à une communauté engagée qui cherche collectivement à répondre aux besoins du territoire.




Quand et pourquoi l'association France-Tiers-Lieux a-t-elle été créée ?

Début 2018, alors que je travaillais pour le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), Patrick Levy-Waitz et moi avons été missionnés par Julien Denormandie, alors secrétaire d'Etat auprès du Ministre de la Cohésion des territoires, pour produire un rapport "état des lieux" des espaces de coworking en France.

Le gouvernement s'est appuyé sur deux tendances de fond :

  • le déploiement du numérique sur les territoires avec l'installation du très haut débit, y compris dans les territoires ruraux avec l'enjeu d'anticiper ses usages et son appropriation par les habitants du rural ;
  • le développement de nouvelles formes de travail (travailleurs indépendants, travailleurs nomades) et du télétravail.

Perçu comme un levier possible de développement économique dans les territoires, que l'Etat pouvait accompagner, le rapport devait rendre compte du besoin d'accompagnement au développement des coworkings partout en France.

Or, l'investigation a surtout donné à voir qu'au-delà des espaces de travail partagés, une transformation profonde de la société était en train de s'opérer autour du faire ensemble, du partage de connaissance et de la co-création : c'est l'émergence du phénomène des tiers-lieux en France.





Au-delà du coworking, des espaces de travail partagés se développent partout, sur une logique très "bottom-up", c'est à dire initiés et portés par des communautés de citoyens, d'associations,. La société civile n'a pas attendu les collectivités territoriales et l'Etat pour s'organiser et répondre aux besoins des territoires. Ce mouvement brasse un mélange de cafés associatifs, fablabs, espaces de fabrication partagés, jardins partagés, coworkings, avec une grosse hybridation des activités...: le rapport fait état de la nécessité de l'Etat de l'accompagner.

En juin 2019, quelques mois après la remise du rapport " Faire ensemble, mieux vivre ensemble ", le Gouvernement lance le programme national de soutien aux tiers-lieux avec

  • La création du Conseil national des Tiers-lieux : une soixantaine d'acteurs représentatifs de la diversité des tiers-lieux, une forme de "parlement" chargé de faire remonter les besoins et de créer une feuille de route commune pour l'écosystème.
  • Le lancement du programme " Nouveaux Lieux, nouveaux liens ", avec notamment l'appel à manifestation d'intérêt pour développer 300 fabriques de territoires [clôturé fin septembre 2021].
  • La création de l'association de préfiguration nationale des Tiers-Lieux, France Tiers-Lieux, à l'automne 2019.

Pouvez-vous me parler un peu plus de France Tiers-Lieux et de vos actions ?

France Tiers-Lieux a été créée pour mettre en œuvre les recommandations et la feuille de route de ce rapport. L'association a été créée par Patrick Levy-Waitz, Marie-Laure Cuvelier (directrice du développement de la Coopérative tiers-lieux en Nouvelle-Aquitaine) et La fondatrice d'éthique, une foncière ESS.

Constituée d'un réseau de tiers-lieux, de coopérateurs de tiers-lieux, d'élus, de structures nationales, France-Tiers-Lieux vise à accompagner la structuration de cette filière d'un nouveau type, à travers 6 missions :

1) L'animation des travaux du Conseil National des Tiers-Lieux , avec pour objectif de constituer des groupes de travail sur les thématiques prioritaires, des feuilles de routes basées sur les recommandations du rapport.

2 ) Le soutien à l'émergence et au développement de réseaux régionaux de tiers-lieux (favoriser l'échange de pratiques, formations...).

France Tiers-Lieux a constitué un réseau de référents régionaux composé d'une soixantaine de personnes, représentant près de 30 structures, acteurs moteurs de réseaux, formels et informels, de tiers-lieux. En parallèle, l'association a lancé des dynamiques de rapprochement dans les régions où il n'y avait pas de réseaux préexistants.

3) Le développement d'outils communs (numériques, juridiques, de gouvernance) à destination des tiers-lieux. Ce soutien passe par la création de contenus, mais aussi et surtout par l'organisation de réseaux d'information et d'accompagnement.

Nous partons du postulat que les connaissances de base nécessaires à la création d'un tiers-lieu existent déjà dans l'écosystème, et notre objectif est de rediriger les porteurs de projets vers les contenus utiles, et de favoriser les rencontres et échanges avec des acteurs en capacité de les accompagner : d'autres tiers-lieux, les Fabriques de Territoire, les réseaux de tiers-lieux ou tout autre acteur possédant une expertise spécifique. L'objectif est bien de mutualiser au maximum les connaissances.

Concrètement, nous proposons sur le site de France Tiers Lieux :

  • Un questionnaire permettant de définir la maturité du projet et une check-list pour aider aux premières étapes du projet.
  • La cartographie des tiers-lieux où seront indiqués les lieux "compagnons" prêts à aider et à accompagner. Il s'agit de tiers-lieux qui acceptent de partager leur expérience auprès de porteurs de projets de tiers-lieux(par le biais de visites notamment) Les Fabriques de territoires en font notamment partie.
  • Un espace ressources constitué de fiches thématiques dirigeant vers des contenus existants et, à venir, un annuaire de structures pouvant fournir un accompagnement (tiers-lieux et autres professionnels confondus).





4) La professionnalisation de la filière , via la reconnaissance des nouveaux métiers nés dans les tiers-lieux (facilitateur de tiers-lieux, fablab manager, etc.), des compétences nécessaires et des formations qui y sont liées.

5) Le développement de partenariats entre tiers-l ieux et acteurs nationaux ou locaux pour concourir au développement de l'activité des tiers-lieux (ministères, institutions, entreprises, fondations, etc.).

France Tiers-Lieux a dans ce même cadre noué plusieurs partenariats, avec des acteurs publics comme privés, afin de favoriser le développement des tiers-lieux.

Citons entre-autres :

6) L'animation nationale et la communication autour de l'écosystème des tiers-lieux : valoriser ce qu'ils font, à travers différents médias, et permettre de mieux comprendre ce qu'ils sont. Le rapport "Nos territoires en action" , récemment remis au Premier ministre donne à voir la réalité des tiers-lieux aujourd'hui, en termes d'impact, d'engagements, de fonctionnement... Et comment le phénomène est devenu incontournable.

France Tiers-Lieux agit entre autres comme observatoire des tiers-lieux : quelles grandes tendances observez-vous concernant ces derniers ? En quoi permettent-ils de répondre aux grands enjeux actuels ?




En 2018, suite au premier rapport, nous faisions le constat de l'émergence des tiers-lieux.

Dans le rapport 2021, nous mettons en lumière l'accélération du mouvement et l'ampleur considérable dont il fait déjà état. On estime leur nombre à 2500 en 2021, et on observe une croissance d'environ +20% par an, ce qui nous amène à une prévision à 3000 à 3500 fin 2022.

Ils sont devenus de véritables phénomènes de société, incontournables, en lien avec les collectivités locales, et au cœur de formes de résiliences territoriales. Régions, départements, intercommunalités, communes : à toutes les échelles, des élus et agents engagés soutiennent l'émergence des tiers-lieux et construisent avec eux des réponses nouvelles aux besoins des territoires (renforcement de l'attractivité territoriale, création de conditions favorables au développement économique, réhabilitation du patrimoine, relocalisation de la production, réduction des mobilités contraintes, maintien du lien social, animation culturelle, incubation de projets d'intérêt général, expérimentations, etc.).

Les tiers-lieux sont ainsi au cœur des transitions nécessaires vers le monde de demain, en anticipant les besoins locaux : transitions (agro)écologiques, nouvelles formes d'apprendre par le faire, recherche-action et laboratoires citoyens...




Les tiers lieux sont des acteurs à part entière du tissu économique local, en participant fortement à la relocalisation de la production, démarche que l'Etat renforce avec l' AMI Manufacture de proximité.

En 2020, les tiers-lieux ont représenté :

  • 248 millions d'€ de chiffre d'affaire cumulé dans les tiers-lieux français.
  • 6.300 travailleurs directs qui font vivre ces activités : animateurs, chargés de communication... sans parler des emplois indirects permis par leur présence !
  • 150.000 personnes y travaillant quotidiennement (coworking, résidences d'artistes, artisans dans les TL de production, etc.).

A noter qu'il y a plus de la moitié des tiers-lieux (52%) qui se situent en dehors des métropoles administratives, ce qui n'était pas le cas en 2018. Le phénomène se développe donc rapidement... et plus rapidement encore en milieu rural, et dans les petites et moyennes villes. Ce n'est donc pas seulement un phénomène "bobo" et urbain comme on a souvent tendance à le penser, mais qui au contraire est à l'oeuvre dans tous les territoires.




Avez-vous en tête des exemples d'initiatives inspirantes réalisées au sein de tiers-lieux ?

Nous avons lancé récemment, en partenariat avec le Réseau Français des Fablabs et l'ANCT, le mois de la fabrication distribuée , dans le but de favoriser l'inclusion numérique.

L'objectif est de fabriquer du matériel pour les médiateurs numériques (dont font partie les conseillers numériques France Services ), adapté à leurs besoins, afin de mieux accueillir et accompagner les personnes en difficulté face au numérique. Les plans des mobiliers demandés sont accessibles en open-source et adaptables.

L'enjeu de l'initiative du "Mois de la Fabrication distribuée" est de mobiliser les tiers-lieux, fablabs et makers dans tous les territoires afin de faire la démonstration de leur capacité à fabriquer localement, en circuit court, ces mobiliers et à les adapter en fonction des pratiques des médiateurs numériques. Il s'agit de mettre en lumière le potentiel de la coopération, de la mutualisation, de l'échange de compétences et d'entraide qui font partie intégrante des tiers-lieux, et de développer une culture de l'expérimentation au sein des collectivités locales demandeuses de ces mobiliers.

Ce type de projet s'inscrit dans la continuité directe de l'engagement des tiers-lieux, fablabs et makers au moment de la crise du Covid-19. Ils se sont montrés en effet essentiels à l'heure du premier confinement pour répondre aux besoins locaux liés à l'urgence sanitaire : plus de 400 tiers-lieux et des milliers de makers ont produit bénévolement du matériel médical, qu'ils ont distribué sur le territoire, répondant aux besoins locaux des institutions médicales. On dénombre près de 5 millions d'unités produites (visières, masques, valves, pousse-seringues, etc.), révélant tout le potentiel de la fabrication distribuée.




On note par ailleurs de plus en plus de liens entre les tiers-lieux et le milieu scolaire, du collège aux universités. On a des exemples d'enseignants qui créent des formes de fablabs dans leurs établissements.

L'association Tiers-Lieux Edu a par exemple lancé en 2019, en partenariat avec France Tiers-Lieux, le RFFLabs (Réseau français des fablabs) et le ReFFAO (Réseau francophone des fablabs d'Afrique de l'Ouest), l'initiative "Je fabrique mon matériel pédagogique" qui invite toutes celles et ceux qui le souhaitent (enseignants, élèves, parents, éducateurs...) à venir dans le fablab de leur choix pour apprendre à fabriquer ensemble du matériel pédagogique. Les participants fabriquent un équipement pour leur classe, ainsi qu'un tutoriel décrivant le processus de fabrication. Cela permet non seulement de reproduire la démarche avec leurs élèves mais aussi d'alimenter une plateforme regroupant les différentes réalisations proposées par la communauté, avec leur documentation open-source.

Enfin, nous remarquons depuis le rapport de 2018 une accélération des tiers-lieux nourriciers, dédiés à l'agroécologie et à l'alimentation durable (projets d'épicerie solidaire, jardins et terres partagés, lieux maraîchers, etc.). Nous avons d'ailleurs lancé un cycle de webinaires sur ce sujet, afin d'informer et d'outiller les acteurs œuvrant dans ces espaces.

Quels sont les grands enjeux des tiers-lieux qui selon vous méritent une attention toute particulière dans les prochains mois?

Il y a encore plein de choses à imaginer pour soutenir les tiers-lieux.

Je pense à la formation professionnelle, avec le développement et la reconnaissance de nouveaux métiers et compétences, mais aussi de nouvelles formes d'apprentissage (coopération, apprentissage par le faire...). Le développement de la recherche-action, faisant des tiers-lieux de véritables laboratoires de recherche citoyenne, va en ce sens.

Les projets liés à la transition écologique devront évidemment être soutenus ; je pense entre autres aux tiers-lieux nourriciers ou dédiés à l'alimentation durable, mais aussi à ceux qui développent le réemploi (ressourceries, recycleries, etc.).

On remarque enfin une augmentation des expérimentations d'associations traditionnelles avec les tiers-lieux pour soutenir le lien social (Réseau de Cocagne, Croix Rouge, Emmaüs, Habitat et Humanisme, etc.). On les voit nouer des partenariats avec les tiers-lieux ou faire évoluer leurs activités vers des formes ouvertes : il sera intéressant de suivre cette évolution et d'imaginer comment soutenir ce mouvement.

Aller plus loin

Retrouvez les dispositifs relatifs aux tiers-lieux sur Aides-territoires :


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